LES HUISSERIES
L’architecture se conçoit à partir des notions de pleins et de vides, ces derniers assurant la transition entre l’intérieur de la demeure et le monde environnant. Ils forment une ligne horizontale dans la verticalité des murs. Si leur fonction utilitaire est indéniable, ils jouent un rôle esthétique primordial dans la modénature d’une façade. À l’époque médiévale, c’est au vu de ses ouvertures que l’on peut d’emblée replacer le bâtiment dans son époque et sa fonction sociale.
Les fenetres
Les fenêtres sont le regard du bâtiment sur le monde_ Elles possèdent une double fonction qui peut paraître antinomique puisqu’elles doivent à la fois protéger des intempéries et permettre à la lumière de pénétrer. Leur évolution sera sans précédent à l’époque et conférera aux façades d’alors une très particulière.
Du 12ème au 14 e siècle, les fenêtres sont souvent le seul élément décoratif extérieur situé aux étages nobles. Elles définissent socialement le propriétaire en donnant les dimensions de l’aula, bien que, parfois, les baies très ornées, censées signaler l’emplacement de la salle n’en donnent pas toujours les dimensions réelles, car elles se prolongent sur une chambre contiguë. Elles se situent presque toujours sur la rue et, par leur ornementation servent de faire-valoir au maître de céans. Elles répondent au code social d’un habitat vivant en symbiose avec la rue. Leur décor tant extérieur qu’intérieur est toujours coloré, ce qui anime les sculptures des chapiteaux et des encadrements.
Le modèle des fenêtres médiévales, dans l’habitat urbain, est hérité de l’Antiquité. Malgré les vicissitudes de la réinterprétation, elles véhiculent des références et des symboles issus la romanité ; elles se déploient à l’étage avec un luxe d’ornementation et de formes qui contraste avec les parties basses réservées au labeur. La diversité des percements atteste de la chie des étages : ainsi les baies éclairant la grande salle sont-elles toujours les plus ornées, on les trouve souvent au premier étage, sur la rue, mais elles sont parfois dans les hautes maisons patriciennes polyvalentes (commerce plus habitation) situées sur deux niveaux. Cependant, il faut savoir que l’ordonnance de la façade médiévale exprime franchement l’organisation des volumes intérieurs et l’articulation entre les plans et les masses : les cordons d’appui des fenêtres marquent les niveaux ; le décor, subordonné à la structure, laisse apparaître l’évidence architecturale. La symétrie n’est pas la règle première, puisque la structure interne de l’étage est reproduite par la disposition des baies.
De la Renaissance a nos jours, les fenetres s’agrandissent.
La Renaissance voit la persistance des fenêtres à croisées ou fenêtres à meneaux, qui sont larges et garnies de vitraux en grisaille ou de vitrerie à losanges ou à bornes. Des verres plats incolores sont fabriqués en Lorraine à partir de bouteilles soufflées ouvertes à chaud : ces verreries circulaires, et onéreuses, s’appellent des cives. La vitrerie est toujours sertie de plomb. Les volets intérieurs conservent leurs divisions en petits panneaux assemblés à onglets. Ils peuvent être à deux parements lorsque leurs décors peints ou sculptés s’étendent sur la surface des deux faces.
Au début du 17e siècle, les meneaux de pierre, disposés en croix sont remplacés par des pièces de bois moulurées en quart-de-rond, qui divisent les croisées en quatre ou six châssis, garnis de verres sertis au plomb, en réseaux de losanges ou de cives. Puis apparaissent les premières fenêtres à petits bois, dont les carreaux plats et irréguliers sont soufflés en Lorraine. Ils comportent des bulles d’air. De teinte violette, à cause du manganèse, ou de couleur verte, ils sont toujours sertis au plomb. Mais dès 1630, il faut noter l’usage grandissant des vitreries tenues dans des petits bois ou des petits bois calfeutrés avec du papier (on les dépose pour les laver). Les volets sont morcelés selon le châssis, mais au cours de ce siècle, le volet unique souvent peint selon la couleur des lambris, fait son apparition. Vers 1630, naît la porte-fenêtre (Hôtel de Rambouillet), qui peut être définie soit comme une fenêtre s’ouvrant jusqu’au sol, soit comme une porte largement vitrée. Elle met la pièce en communication directe avec le jardin ou la cour. Elle devient très vite un poncif du décor à la française. On raconte que son serait dû à un accident architectural : les allèges bâties étant de plus en plus basses pour fournir de la clarté à ces intérieurs avides de lumière, elles se seraient effondrées lors de pluies violentes, montrant ainsi qu’une fenêtre pour comme une porte… Les fenêtres à la française sont à petits châssis et légèrement bombées.
Le XVIIIe siècle voit l’apparition des fenêtres à grands carreaux (dans certaines demeures, on observe encore la transformation de la menuiserie afin de convertir les châssis à petit-bois en châssis à grands-bois). Les baies sont obturées le soir par des menuiseries intérieures appelées « guichets brisés », qui se rabattent le jour dans les arasements* masqués par des boiseries. Ces volets intérieurs sont toujours peints sur leurs deux faces, de sorte que lors de la fermeture, ils assurent une continuité décorative. Devant les allèges, on installe des menuiseries fixes qui peuvent se transformer, grâce à un couvercle mobile, en coffres de réserves.
Ces installations sont appelées « banquettes d’ébrasement » on y dispose des coussins ou parfois une tablette de marbre ou de bois peint en marbre feint, toujours dans les mêmes teintes que la cheminée. Ces fenêtres sont agrémentées, à l’extérieur, de balcons légèrement cintrés, en fer forgé, portant parfois des ornements de tôle repoussée et dorée.
A partir de 1750, les fenêtres à grands carreaux se généralisent et sont souvent ornées d’impostes en arcade. Dans certaines ouvertures, on trouve l’esprit du « remplage gothique » dans des impostes extérieures en menuiserie dont le dormant joliment ouvragé forme pare-soleil. Les fenêtres à la vénitienne, influencées par la vision des villas palladiennes, sont formées d’une baie centrale couverte d’un arc en plein cintre et de deux haies latérales couvertes à hauteur de l’imposte de la baie centrale. Les volets, dès cette époque, sont déplacés à l’extérieur des fenêtres, on les appelle alors contrevents ou persiennes et ils sont toujours peints en blanc, côté jardin.
Le XIXe siècle ne verra pas de transformation structurelle notoire des fenêtres. Mais la généralisation de la pose des volets à l’extérieur entraînera la disparition des balcons saillants en fer forgé du XVIIIe siècle, qui seront remplacés par des garde-corps droits en fonte ou en fer.
L’heure de gloire du parquet
Les carreaux émaillés seront très en vogue jusqu’au XVIIe siècle. À cette même époque, le dallage de pierre est posé en damiers mais on préfère à tous ces revêtements minéraux le plancher de bois, pour des raisons thermiques et phoniques. Ces planchers vont prendre le nom de « parquet » (venant des parcs « enclos » entourant l’estrade où se rend la justice) : ce sont des parquets d’assemblage dont les lattes de chêne sont réunies pour former des compartiments, assemblés ou juxtaposés, posés en diagonales (on les nomme aujourd’hui « parquets Versailles »). Pour les demeures les plus luxueuses, ils peuvent comporter des marqueteries de bois, des incrustations d’ivoire et d’étain, formant des motifs en étoile, en fleurs de lys… Ces sols précieux sont surtout mis en place dans les petits « cabinets » et les alcôves ; ils sont d’une grande fragilité et seront abandonnés dès la fin du XVIIe siècle. L’hégémonie revient alors aux parquets d’assemblage à grands panneaux qui deviennent le sol classique des pièces de réception dans les demeures de cette époque. Ces parquets peuvent être agrémentés d’un encadrement de marbre ou de pierre qui vient se placer contre la plinthe ou le lambris.
De la pierre a la moquette en passant par le goudron…
Le XVIIIe siècle marque l’apogée du décor à la française. La distribution des appartements est codifiée par le matériau qui entre dans la composition du décor : en ce qui concerne les sols, il faut savoir que vestibules, antichambres, et salles à manger sont dallés de pierre ou de carreaux de pierres hexagonales séparés par des joints très apparents ou par des cabochons de pierre noire, d’ardoise ou de faïence teintée de vert. Ce pavement est toujours entouré d’une bordure d’encadrement qui court le long des murs. Plus rarement, on trouve des dallages de marbre à compartiments, dans l’antichambre des grands hôtels particuliers. Dans les salons, le parquet d’assemblage en bois de chêne ciré est d’un emploi fréquent. Cette structure, souvent à dessins géométriques, est très brillante parce qu’entretenue par une armée de « frotteurs ». Les sols sont ainsi au diapason des murs, très ornés de glaces. Dans les étages, les chambres, les cabinets et les couloirs sont garnis de tomettes cirées. Ce n’est que vers le milieu du XVIIIe siècle que l’usage des « tapis de pieds » se répand dans les appartements de commodité. Mais les tapis* ne garnissent pas le sol des salons, comme voudrait faussement le faire entendre une vision très XIXe siècle…
En revanche, le XIXe siècle connaît une véritable débauche de tissus, de tentures, de tapis. Au siècle heureux succède le siècle bourgeois, où une certaine idée du confort prime sur la recherche esthétique. Les grands tapis mécaniques et, plus tard la moquette, vont cacher le sol pour donner un air feutré et riche aux appartements. C’est l’installation du jardin à l’intérieur du salon, illustrant ce vers de Verlaine : « Et le printemps en fleurs, sur ses pantoufles brille ! » Une profusion de meubles, de rideaux et de plantes d’appartement occupe l’espace. Ce siècle est également marqué par l’éclectisme. Tous les éléments des époques antérieures s’y retrouvent, mâtinés d’un certain goût pour l’exotisme et l’interprétation d’une Antiquité mal assimilée et dont les « visionnaires » puisent leurs références dans les ruines de Pompéi… L’ère technique fera naître une multitude de produits nouveaux, nés de l’industrie, dont le linoléum, aux allures de matière faussement noble, sera l’un des avatars. Il dissimulera les anciens parquets sous des faux marbres, des mosaïques feintes et autres sols nobles… en matière goudronnée.